Que se passe-t-il donc dans un pot de choucroute, pendant la fermentation ?

Nos ancêtres ont toujours fermenté les choux sans avoir la moindre connaissance scientifique sur ce qui se passait réellement durant la fermentation. Ils reproduisaient les savoirs-faire et les recettes transmis par leurs ainés d’une génération à la suivante, durant des siècles. C’était parfait et ça l’est encore ! À moins d’être curieux de nature, nul besoin de connaitre le genre, l’espèce, la sous-espèce, le nom ou l’ADN des microorganismes pour réussir de belles et bonnes fermentations.

Quand je serai grande, je serai biologiste, car je suis fascinée par ces microbiotes qui colonisent l’humain, les autres animaux, les végétaux et les sols, par tous ces microorganismes précurseurs de la vie, indispensables à la vie et à nos délicieuses fermentations !

Veux-tu savoir ce qui se passe dans ton pot de choucroute ?

Eh bien, voilà: la fête commence aussitôt que tes choux émincés sont placés bien tassés dans leur pot avec du sel (et quelques aromates, bien sûr). En effet, dès ce moment la quantité de bactéries strictes aérobies décroit et l’anaérobiose est rapidement atteinte grâce à la respiration du matériel végétal ainsi qu’ à la consommation de l’oxygène par les bactéries anaérobies facultatives qui vont se multiplier durant les 2-3 premiers jours et vont devenir dominantes. En bref, en très peu de temps, il n’y aura plus d’oxygène dans le pot et tout ce qui a obligatoirement besoin d’oxygène pour vivre et proliférer va disparaitre. Bonne nouvelle, car ce sont les bactéries que l’on ne veut pas avoir dans notre pot qui vont mourir.

C’est l’absence d’oxygène et la baisse du pH – résultant de la formation d’acides organiques (lactique, acétique, formique, succinique) – ainsi que la présence de sel qui vont fournir les conditions favorables à la croissance des bactéries lactiques qui vont se régaler des sucres de tes choux et synthétiser des acides organiques et autres composés responsables de la fermentation et de ses saveurs et arômes si typiques.

Mais n’allons pas trop vite.

Dans un premier temps, ce sont donc des bactéries anaérobies facultatives qui vont croitre, car elles ont l’incroyable faculté de vivre et de se développer à la fois en présence et en absence d’oxygène. Nous autres humains ne sommes que de misérables créatures aérobies strictes, pareilles aux nombreuses bactéries que nous ne voulons pas voir proliférer dans nos pots !

Ces petites merveilles de la nature sont des Firmicutes, du Genre Leuconostoc, de l’espèce mesenteroides.

Pour plus d’informations sur cette bactérie lactique (ou LAB- Lactic Acid Bacteria) clique sur ce lien (1).  La classification des microorganismes est vraiment complexe, alors pour plus de détails, clique ici (2).

De nombreuses LAB, dont fait partie notre belle amie, sont très communes sur les plantes cultivées… c’est pourquoi il y en a dans tes pots ! Non, elles n’apparaissent pas comme par magie et, si elles croissent dans tes pots de choucroute, c’est d’abord parce qu’elles se trouvent sur tes choux.

L. mesenteroides ( aussi Lc. mesenteroides) est probablement l’espèce de LAB la plus courante sur les fruits et les légumes et c’est elle qui initie la fermentation de ta choucroute et autres légumes. (3). Elle n’est d’ailleurs pas seule dans cette tâche, car L.fallax est aussi impliquée durant cette phase initiale de fermentation de la choucroute. On tient le nom d’au moins deux coupables !

As-tu une idée du nombre d’individus de LAB qui va se trouver dans ton pot de choucroute après 12 à 14 heures ?

Réponse: plus de 10 puissance 8 CFU ( Colony Forming Units) par millilitre ! Ça en fait du monde à nourrir, tout ça !

Comme elle est présente en grand nombre et qu’elle est bien adaptée au milieu (même un peu de sel ne la dérange pas), elle va produire rapidement de l’acide lactique faisant ainsi baisser le pH. Elle et ses copines convertissent les sucres du chou (glucose, fructose et sucrose) en acides organiques comme l’acide lactique, l’acide acétique et autres composés.

Puisque Lc. mésenteroides est une LAB hétérofermentaire, en plus des acides organiques qui feront baisser le pH, elle va aussi produire du dioxyde de carbone qui va contribuer à maintenir les choux à l’abri de l’air et permettre ainsi la stabilisation de la vitamine C contenue dans le chou et la préservation de la couleur naturelle du végétal. C’est pas beau ça ?

Dans un deuxième temps, étant donné que le pH diminue et que nos Leuconostoc y sont quand même un peu sensibles, un autre genre de LAB hétérofermentaires plus tolérante à l’acidité et au sel va prendre la place: il s’agit de Lactobacillus brevis. Celle-ci va produire encore plus d’acide lactique ce qui va acidifier davantage le milieu et préparer le terrain pour les bactéries suivantes. Tu l’as compris, la fermentation de la choucroute se réalise selon une séquence, assez prévisible, de plusieurs genres de LAB qui se succèdent dans ton pot.

Ces deux premières étapes de la fermentation de la choucroute se déroulent sur 3 à 6 jours (selon la température) et la concentration d’acide lactique y est d’environ 1%.

La troisième étape est dominée par la présence de LAB homofermentaires qui convertissent la plus grande partie des sucres disponibles en acide lactique. Dans la choucroute, il s’agit principalement de Lactobacillus plantarum, Lactobacillus sakei et Lactobacillus curvatus. D’autres LAB sont aussi impliquées dans cette étape, mais elles représentant environ seulement 10% de l’ensemble.

Dans l’industrie de la choucroute, on met le plus souvent fin à la fermentation par la pasteurisation quand le pH atteint 3.8 à 4.1 et que la concentration d’acide lactique est de 1,5 % à 2%. Chez toi, si tu laisses ta choucroute fermenter jusqu’à ce que les LAB hétérofermentaires ( comme Lb.brevis) capables de métaboliser l’arabinose et le xylose soient dominantes, le stade final de la fermentation sera considéré atteint. À ce stade, la concentration d’acide lactique pourrait atteindre 2,5 % et le pH baisser jusqu’à 3.4.

Les étapes que je viens de te relater sont décrites dans le livre: Handbook of Fermented Functionnal Foods 2nd Edition. 2008. Chapter. 14. Sauerkraut. Wilhelm Holzapfel, Ulrich Schillinger et Herbert Buckenhüskes. Edited by Dr Edward R. Farnworth ( Agriculture and Agri-Food Canada- Saint-Hyacinthe, Quebec).

Pour finir, j’ajouterais qu’il existe une dernière étape: celle de la post-fermentation ou maturation qui correspond aussi à la période de conservation. Sa durée varie selon la patience (ou l’impatience) de celle ou celui qui en sera l’heureuse-eux bénéficiaire !

Bonne choucroute !

Isabelle Meunier, Sainte-Agathe-des-Monts, Québec, Canada

(1)http://gmgmesjwk.pbworks.com/w/page/6526698/Classification%20and%20Cell%20Structure

(2)https://www.ncbi.nlm.nih.gov/Taxonomy/Browser/wwwtax.cgi?mode=Undef&id=1243&lvl=3&keep=1&srchmode=1&unlock&lin=f&log_op=lineage_toggle

(3) https://genome.jgi.doe.gov/portal/leume/leume.home.html

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